On était le 4 avril nous avions eu un hiver terrible avec vilains chemins j’allais en voiture avec des trous presque tout le long jusqu’à l’église. Quand Marc-André est né c’est par les fesses qu’il s’est présenté (on appelle ça en terme médical un siège). Le médecin l’a ondoyé dès qu’il lui a vu les fesses mais ça été assez vite il a fallu au médecin le frapper aux fesses en le prenant par les pieds. C’est Marc Roussel et Gisèle Roussel qui furent parrain et marraine.
Selon la coutume il fallait être soumis à l’enseignement de l’Église. Il était défendu de limiter les naissances. Après la naissance du deuxième enfant j’ai été un an et huit mois avant d’avoir un autre bébé, c’est alors que le curé est venu me dire qu’est-ce que je faisais, qu’il y avait plus d’un an que je n’avais pas eu d’enfant. En décembre suivant je donnais naissance à une fille et une année et huit jours plus tard un autre garçon. Comme cela jusqu’à douze. Nous étions talonnés à ce sujet à tous les ans. C’était une des situations où ils usaient de leur pouvoir de maître de la population. Combien de femmes dans la paroisse en ont subi les conséquences ? Le pouvoir était tellement fort que même une femme qui était de santé fragile, et pour laquelle il était dangereux pour elle d’avoir un autre enfant, ce n’était aucunement pris en considération, la vie de la mère ne pesait pas lourd. C’était la décision du curé qui l’emportait et non celle du couple.
La vie n’a pas été toujours rose :
quand Louis est sorti de l’armée et qui a voulu rester à la maison,
j’ai dû me marcher sur le cœur et lui dire de s’en aller…
Je pensais avoir des jumeaux, elle est née le 28 décembre 1948 mais elle était toute menue. Son parrain Jos Fortin et sa marraine Yvonne Des Rosiers. Quinze jours après sa naissance elle a fait une pneumonie elles est devenue assez faible qu’elle n’avait plus la force de téter. J’ai dû la nourrir au compte gouttes. Marc-André bousculait Jojo quand elle a commencé à marcher. Rose-Anna, ma mère, a vu ça et a dit qu’elle l’emmenait chez elle tant qu’elle ne marcherait pas comme il faut, en fait elle est restée là toute son enfance, ma mère lui fit faire son cours de secrétariat à Ste-Anne-de-la-Pocatière. Jojo venait chez nous en visite de temps en temps.
Avec le temps, les lainages finissaient par rétrécir au lavage. Un gilet d’enfant venait comme du feutre. Un matin en habillant Jocelyne qui était bébé, je lui ai déplacé, on disait « démanché », un bras. Elle pleurait constamment et pas moyen d’y toucher, c’est alors que j’ai aperçu un creux sur son épaule. J’ai pensé qu’elle avait le bras « démanché ». J’ai pris mon courage à deux mains et j’ai tiré d’un seul coup assez fort et le bras s’est replacé mais ça fait mal terriblement. Quand j’y pense le cœur me serre. Elle était bien remise.
Après un hiver dur, tout le monde manquait d’eau. Nous n’avions plus d’eau à la pompe de la maison et la fontaine parce qu’à l’étable il fallait puiser de l’eau à la chaudière pour les animaux. Quand il en manquait à la maison pour le lavage, Conrad m’apportait de l’eau dans de grandes chaudières de cinq gallons qu’il a posées près d’une berçante où j’avais placé Jocelyne. C’était une grosse chaise que Conrad avait faite, une grosse chaise grand-père qu’il appelait. J’étais dans la cuisine d’été, nous aussi on avait une cuisine d’été, à brasser la laveuse, il faut dire que c’était une laveuse artisanale faite de bois par Léon Drapeau. Comme je me retourne je ne vois que les pieds de la petite tombant dans la chaudière. Je n’ai pas perdu de temps pour la retirer, imaginez l’eau froide, elle était bleue, je l’ai enveloppée, frottée pour la réchauffer. Pauvre petite, Conrad qui était à cinq pieds d’elle ne s’est pas aperçu de rien, il était concentré à limer une égoïne. Après cet incident, j’attachais l’enfant quand je la plaçais dans cette chaise. Il faut dire que ça ne fait pas de bruit plonger dans une chaudière d’eau froide, il y a eu ni cri ni éclaboussure.
Tôt les dimanches on embarquait soit en « boggué » l’été, soit en « borleau » l’hiver, beau temps mauvais temps. Pour aller à la messe l’hiver, les enfants s’assoyaient au fond du « borleau » sous la peau de mouton. Alain tous les dimanches était malade pour le reste de la journée pour enfin découvrir qu’il souffrait de vertige. Tempête mauvais chemins le printemps c’étaient les cahots, faut vivre cela pour savoir ce que c’est.
Les premières années ce n’était pas drôle nous n’avions pas de fourche à foin, ce ne fut que plusieurs années plus tard que nous avons pu en acheter une. Nous avions une « waguine » à roues de fer et une autre faite avec un dessous de vieille auto mais sans pneus, imaginez si ça se détériorait. Une journée Conrad était à l’avant de celle avec des roues de fer et moi à l’arrière. Il se disait: « Elle va rendre l’âme » (la voiture bien entendu) mais elle a fait tous les foins. On avait donc deux voitures à foin dont une était beaucoup plus haute que l’autre et j’avais peur de la prendre toujours avec des chevaux. Arrivée à la grange il fallait décharger le foin à la main il fallait quelqu’un pour tirer le foin et le placer plus loin sur la « tâsserie ». C’était pas long que les sueurs m’inondaient. Je me trouvais sous les toits, nécessairement le soleil chauffait la couverture. Plusieurs années plus tard nous avons acheté une « waguine » à roues de caoutchouc. Ça roulait doux c’était fabuleux. Une autre année ce fut la fourche à foin, et une autre année encore ce fut un tracteur « Ford ». C’était la richesse, c’était merveilleux tout le travail allégé. Le cheval était attelé à la fourche à foin, je n’avais plus besoin d’être sur la « tâsserie ». Nous avions aussi un râteau tiré par le cheval. Que ça allait bien. Plus tard ce fut l’achat du centrifuge qui fonctionnait à l’électricité, c’est l’année où Renée est venue au monde en 1950.
L’été entre le ménage, les couches et les vaches, Conrad prenait des contrats de bûchage de forêts avoisinantes. À travers toutes mes besognes, Conrad et moi faisions la traite des vaches à quatre heures du matin, soin des porcs, des veaux, nous déjeunions après. Il faut aussi dire qu’il engageait un garçon d’une douzaine d’années pour l’aider à travailler dans le bois. J’allais les conduire à leur ouvrage en « sleigh » (voiture à cheval, à quatre roues, une planche mais pas de ressort). Revenue à la maison il fallait que je prépare de la nourriture pour un lunch dans l’avant-midi, pour le dîner et pour un lunch l’après-midi. J’allais leur porter les lunchs et le reste de la journée était pour les travaux ménagers. À cinq heures c’était la traite des vaches. Des fois je devais aller les chercher au bout du clos. J’étais seule et Conrad arrivait à neuf heures il soupait et c’était le coucher.
Alain est né le 7 janvier 1948, le lendemain de la fête des Rois. Ça s’est passé normalement il était bien constitué. Son parrain fut le grand-père Didace et Anaïs Perreault, la seconde noce du grand-père.
Tante Délima Des Rosiers, une tante à Conrad, née Charrette est partie de St-Gabriel pour aller dans une pension à Amqui, pour finir ses jours. Le curé était souvent là pour lui rendre visite. C’était facile pour lui, il avait une automobile, nous pas; c’était donc difficile pour nous de lui rendre visite. Elle avait promis à Conrad qu’elle lui laisserait un avoir important, c’était sûr qu’elle ne l’oublierait pas. Quand elle est décédée, le curé de la paroisse, le curé Harvey est venu dire à Conrad « Quand tu t’es marié, elle t’avais prêté quelque argent, tu n’auras pas à les rendre c’est ton héritage ». Quelle humiliation d’entendre cette nouvelle de la bouche du curé, car Conrad s’était beaucoup dévoué pour sa tante Délima sans en être récompensé. Nous savions qu’elle avait passablement d’argent à son décès. Et ce n’est qu’une situation que je dévoile. Combien y en a-t-il eu d’autres ?
Au Saroi nous avons toujours eu des chats une portée de chats n’attendait pas longtemps, une autre portée arrivait, nous avons eu de beaux chats blancs et surtout des noirs tout noirs. Nous avons gardé deux beaux chats noirs avec poil angora, ils étaient magnifiques comme ils étaient de la même portée ils jouaient ensemble mais des chats angora nous ne pouvions les garder longtemps. Les chats angoras se léchant, provoquent une maladie et meurent. Nous ne savions pas comment les traiter. À chaque portée il fallait en éliminer nous ne pouvions pas tous les garder pour s’en débarrasser nous les noyions. J’ai noyé une portée de chats dans la chaudière qui nous servait de toilette, c’est Huguette, elle qui aimait beaucoup les chats, qui fut en état de choc quand elle a soulevé le couvercle. Je lui avais demandé de vider la « tine » même si elle l’avait vidée le matin.
Nous avions sur notre terre deux lacs, un petit et un autre plus grand, il se faisait de la pêche. Le printemps c’était la préparation des chaloupes (c’était plutôt des chalands faits de planches), les peinturer, les réparer quand elles étaient brisées. On les louait à des pêcheurs pour une journée, il pouvait être quatre personnes dans une chaloupe pour un dollar. Ça faisait plusieurs années que j’étais mariée et je voulais aller à la pêche enfin j’ai eu la chance d’y aller. Une fois rendue sur le lac il faisait chaud et l’eau était comme de l’huile et ça ne mordait pas. Nous sommes restés quinze minutes et il m’a annoncé que c’était inutile de rester là et nous sommes revenus à la maison. J’ai été déçue de ma partie de pêche.
On récupérait les restants de gras de la cuisine, des abats de porc que je nettoyais et salais. Le printemps je faisais du savon que l’on se servait pour le lavage du linge et des planchers. Pour se laver le corps on achetait du savon d’odeur comme on disait dans le temps. On prenait un chaudron de trois pieds de diamètre en fonte suspendu sur une barre transversale, soutenue sur des piquets. Il fallait qu’il soit suffisamment haut pour pouvoir faire un bon feu dessous. La première opération durait environ quatre heures on faisait chauffer les gras avec du caustique. Après on laissait refroidir quelques jours. Le gras montait sur le dessus on le coupait, on jetait le fond de la lessive. Dans le même chaudron on replaçait le gras dans une nouvelle lessive faite de caustique et de résine, la résine on l’achetait en gros bloc. Il fallait surveiller constamment quand le tout bouillait trop fort c’était sujet à gonfler et déborder. Alors on ajoutait une poignée de gros sel. Le mélange devenait d’un beau jaune qui ressemblait à du sucre à la crème mais moins bon bien entendu….Quand c’était fini on le laissait refroidir plusieurs jours et l’on taillait en morceaux et que l’on laissait sécher au moins six mois avant de s’en servir, si on l’utilisait avant il était trop friable et ça se gaspillait trop vite. D’une année à l’autre l’on pouvait croiser dans le temps, le lot à sécher remplaçait un lot prêt à utiliser. Il n’avait pas de savon en poudre comme à présent, je me souviens qu’il y avait de l’Oxidol que nous achetions rarement. Dès que j’étais assez grande chez mes parents c’est moi qui avais le travail de vider et nettoyer les abats de porc et de bœuf. Les premières fois je n’aimais pas cela mais je me suis habituée. J’avais appris à faire tous ces ouvrages chez mes parents. C’était de l’ouvrage que l’on faisait même si ce n’était pas agréable comme laver les couches des enfants.
Quand l’on tuait des bêtes soit porcs ou bœufs pendant l’été on n’avait pas de congélateur ni de réfrigérateur, alors on emplissait des pots de conserves de morceaux de viande que l’on assaisonnait et l’on faisait stériliser. C’était beaucoup de travail mais quand nous avions besoin de viande c’était cuit et prêt à manger; nous avions seulement à réchauffer la viande. On avait aussi une «boucanerie». Conrad était expert et nous avions du très bon jambon, ça battait le jambon que l’on achète dans les magasins. Il prenait de gros morceaux de viande qu’il faisait tremper dans la saumure plusieurs jours ensuite il accrochait cette viande dans la «boucanerie» plusieurs jours. Des fois plus d’une semaine, la viande à ce moment-là se conservait, on pouvait laisser cette viande accrochée longtemps et à mesure que l’on en avait besoin on se rendait en chercher un morceau. C’était délicieux on en trouve pas sur le marché du bon bacon comme cela. La « boucanerie », c’était un pignon en bois de la hauteur de six ou sept pieds avec une porte. Il y avait un petit poêle à l’extérieur relié par un tuyau sous la « boucanerie » que l’on alimentait de bran de scie d’érable au préalable. Le bois mort n’était pas bon parce qu’il s’enflammait en brûlant le bran de scie laissait échapper un mince filet de fumée. Quand ça chauffait trop, la viande n’était pas bonne elle se calcinait, il fallait doser le chauffage et Conrad avait trouvé la juste mesure. Le fumoir se trouvait derrière le hangar on ne le voyait pas de la maison. La viande restait dans le fumoir, c’était l’entrepôt.
Conrad se rendait dans les chantiers pour bûcher du bois pour se faire un peu d’argent. C’était du mois d’octobre à avril et souvent, les Fêtes, il les passait dans le bois. À l’approche des Fêtes nous avions un petit bœuf à tuer, fallait manger même si le chef de famille était au bois. Conrad m’avait dit : « Tu demanderas à un voisin de le tuer et le dépecer ». Mais après avoir demandé au fameux voisin, il m’a répondu qu’il avait le cœur trop tendre qu’il ne pouvait tuer un animal. Je vous dis que j’étais fâchée. Ce qui m’a fâchée, c’était que Conrad était toujours disponible pour ce même voisin qui tuait un animal, porc ou bœuf, Conrad les aidait. Comme j’avais vu mon père maintes fois faire boucherie, je me suis dit : « Je suis capable de le faire ». Je me suis donc installée dans ce qu’on appelle la « batterie », un espace où on emmagasine des voitures et aussi où l’on bat le grain donc batterie, entre deux tâsseries de foin. C’était avant Noël, on attendait que les froids de l’hiver soient commencés pour que la viande se conserve, on n’avait pas de réfrigérateur, ni de congélateur dans le temps. Je ne pouvais aller me réchauffer parce que la peau de l’animal gelait à mesure que j’en enlevais une lisière. Je n’avais pas la force d’un homme pour installer la bête sur un palan, j’ai eu bien de la misère. J’ai eu froid aux pieds une chose terrible, quand j’y pense, j’ai encore froid aux pieds.
Le lait que l’on produisait pendant l’été nous le vendions à la beurrerie du village mais rendu à l’automne le lait diminuait alors on gardait le peu de lait après l’avoir passé au centrifuge. On gardait la crème pour faire du beurre et après quelques jours de ramassage de crème, on la plaçait dans une baratte que l’on tournait, à la main, des fois assez longtemps. Plusieurs fois, ça allait jusqu’à quatre heures d’affilées fallait être patient, le beurre servait à la consommation de la famille, le reste était entreposé dans de grandes jarres de grès dans laquelle j’ajoutais de la saumure parce que cette crème là n’était pas pasteurisée. Sans la saumure, le beurre ne se conservait pas. Ce beurre servait comme je puis dire au temps de la crise du beurre il y avait un temps l’hiver que les vaches ne produisaient plus de lait, on faisait vêler les vaches au printemps alors les vaches étaient au repos quelques mois, nous ne les trayions pas. Comme la famille avait besoin de lait tout l’hiver nous gardions une vache qui ne vêlerait pas pour pouvoir la traire, ce qui nous donnait du très bon lait parce qu’une vache qui ne vêle pas son lait est plus gras.
La vie n’a pas été toujours rose :
quand Conrad rabrouait son petit fils Gilbert
il y a de quoi avoir le cœur malade…
C’était un meuble fait par Adrien Caron, le haut on boulangeait le pain et le dessous servait d’armoire. J’y rangeais les casseroles à pain et le rouleau à pâte. Avant ce meuble, j’avais une sorte de grand plat pour faire le pain, faut dire que j’en ai manqué quelques fournées, la pire ce fut quand j’ai oublié le sel c’est affreux comme c’est mauvais sans sel. Un jour, je vais voir Conrad fendre du bois à l’arrière de la grange en lui apportant du bon thé chaud. À mon retour, ce que j’ai vu m’a assommée. Les enfants jouaient à se lancer de la farine, un chaque bout dans la huche et un à genoux sur une chaise, un autre recevait de la farine sur le plancher et jouaient à faire monter des nuages de farine. Vous savez combien la farine est volatile. Les enfants avaient les yeux et la bouche toute blanche, la farine collait aux parties mouillées, il y en avait partout, même au deuxième étage. Une fois ramassé le plus gros et le reste qu’il y avait dans la huche, il en restait une chaudière de vingt livres que j’ai jetée bien entendu.
Je disais que Conrad traversait le lac sur la glace mais un jour la glace a cédé et le cheval à l’eau, c’est là qu’il a dû se jeter à l’eau lui aussi pour dételer le cheval, qui libéré de l’attelage, a réussi à remonter sur la glace. Ils reviennent donc à l’étable qui était à un demi mille de là. Le cheval au chaud à l’étable, il arrive à la maison, ses vêtements étaient en glace et grelottait sans arrêt. Il était incapable de se déshabiller seul, je l’ai donc aidé, frictionné, vêtements secs et chauffé davantage pour le réchauffer. Ce soir là c’est moi qui a été soigner les bêtes, il n’était pas question qu’il sorte après son aventure.
Je faisais chauffer l’eau sur le poêle dans un grand récipient que l’on appelait « bâleur ». Je faisais sécher sur des cordes à l’extérieur. En hiver le linge gelait vite. Je l’entrais, raide comme une barre, je le faisais sécher au-dessus de la grille de la fournaise. J’avais un support à barreaux pour cela. Le jour du lavage, j’en profitais pour boulanger le pain et le faire cuire parce qu’il fallait chauffer le poêle pour avoir de l’eau chaude. C’était une journée bien remplie. En été cette journée-là il faisait une chaleur terrible dans la maison. La même chose quand je faisais des tartes, il fallait chauffer au moins un après-midi de temps.
Quand j’ai élevé mes enfants il n’y avait pas de couches jetables, je les fabriquais soit en coton ou en flanellette, blanche ou de couleur. Je n’ai jamais eu des couches grises, j’avais vu cela avant de me marier, je trouvais qu’un enfant avec une couche grise avait l’air trop misérable. Je fabriquais des piqués. Je fabriquais aussi des couvertures de bébé au métier. Les couvertures de laine se faisaient sur un métier de quarante-cinq pouces quand je faisais de grandes couvertures je cousais deux longueurs ensembles. Plus tard, beaucoup plus tard j’ai eu un métier de cent pouces on pouvait avoir des couvertures de quatre-vingt-cinq pouces de large. C’était bien beau et bien pratique. J’ai aussi fabriqué des napperons. J’ai acheté de la catalogne de fabrique qui était de matériaux neufs, ça se travaillait mal, ça ne se tassait pas. J’ai fait avec mon deuxième mari des linges de vaisselle en coton aussi en lin ce qui fait de très beaux et bons linges.
Fabriquer des catalognes n’était pas de tout repos. D’abord faillait tailler du linge usagé en lisières d’un demi pouce pour le linge très usé et pour les vêtements épais et moins usés c’était un quart de pouce que je pelottonnais pour pouvoir tisser plus aisément. Il faillait coudre les lisières bien solidement, une madame m’a déjà donné quelques pelottes de catalogne elle les avait cousues à la machine à coudre. J’ai tout défait les coutures ça n’aurait pas fait du bel ouvrage. Quelques années plus tard il y a eu de la tricolette en lisières que l’on achetait en vrac ça faisait des catalognes pesantes. Les plus belles et les plus pratiques étaient faites de vieux vêtements. Les lisières de tissu étaient utilisées pour faire des rangées sur le métier à tisser.
Je recevais des boîtes de linge usagé qui m’étaient données par la parenté ou des religieuses, que je défaisais pour vêtir mes enfants. Je n’allais pas souvent dans les magasins de tissus, c’était loin et cher pour nous. Tout était fait avec du vieux, c’était du reconditionné, ce qui me donnait des moments cocasses. Par exemple une robe une fois confectionnée pour celle qui la portait on l’appelait tante Dorilda. Parce qu’une vieille tante de notre voisinage quand elle rendait visite, elle avait toujours la même robe semblable à celle que j’avais confectionnée. Les manteaux étaient décousus, retaillés et cousus pour que le côté envers soit sur le dessus. Donc les couleurs étaient plus vives. Pantalons, vestons et manteaux avaient une deuxième vie.
Tout le vieux linge se récupérait pour faire de la catalogne. Les lainages étaient échiffés c’est-à-dire coupés et défaits brin par brin, c’était utilisé comme torchons pour les planchers de bois mou. On se servait des poches de jute aussi, c’était bon ! Les vieux manteaux de lainage servaient pour faire des jetées de lit. C’était confortable, on les taillait en carreaux et les cousait ensembles. C’était des courtepointes.
Née le 8 mai 1949, elle est venue bien vite le matin. Après avoir trait les vaches Conrad fut obligé de demander une voisine Mme Albert Cloutier pendant qu’il allait chercher maman et le médecin en voiture à cheval. Bien entendu, quand le médecin est entré dans la maison Paule était née le médecin a dit j’aime cela quand le bébé arrive avant moi, bien entendu c’était bon pour lui il n’avait pas besoin de se salir les mains et il était payé quand même, son dû était l’équivalent d’un chèque d’allocation familiale qui tournait autour de quatre dollars dans ce temps-là. Son parrain fut son oncle Jean Desrosiers et sa marraine Ernestine Fortin, son épouse et sœur de Jos Fortin
Comme moyen de transport l’hiver il y avait le Snow-mobile. Grosse boîte de contreplaqué, actionnée par un moteur automobile qui fonctionnait sur chenilles. Les dimanches quand Conrad était au chantier, pour aller à la messe nous prenions le transport en commun, on pouvait s’entasser de vingt à vingt-cinq personnes dans ce véhicule. Ce n’était pas chauffé et renversait souvent. Il fallait sortir et les hommes réussissaient à remettre le Snow sur le chemin. Ce n’était pas agréable du tout quand le moteur forçait, ça empestait l’essence. Souvent le dimanche ceux qui prenaient le Snow pour aller à la messe étaient malades le reste de la journée. C’était un gros inconvénient d’être loin de l’église en hiver.
La peur d’avoir perdu Alain un après-midi. Quand Conrad travaillait pas très loin de la maison, les enfants le suivaient. À un moment donné Alain avait disparu. À ce moment-là Conrad faisait du débarras. C’était une clôture de branchage dans le bois pour empêcher les vaches de passer le long du lac. Il laisse son ouvrage pour venir me demander si Alain était avec moi, mais non. On s’est mis à le chercher, comme à l’étable on avait une fontaine il est allé voir et avec une perche on a sondé la fontaine, il y avait aussi le lac et le ruisseau où les enfants jouaient souvent. On fouille la maison de fond en comble et pas d’Alain. Toujours est-il qu’avant d’alerter les voisins Conrad monte à l’étage où étaient les chambres car je venais de faire le grand ménage. Le printemps je refaisais les lits à neuf. J’entends par là n’ayant pas de matelas on avait des paillasses. Quand les paillasses étaient fraîchement remplies si l’on se couchait ça faisait en creux. Comme il restait un lit qui n’avait pas servi Alain a eu l’idée de s’y installer, il s’est faufilé sous les couvertures et rien ne paraissait. Conrad a refait le tour de la maison en s’arrêtant, en écoutant. Dans la chambre, il a écouté et a vu que la couverture se soulevait mais très peu. Imaginez notre joie, notre petit Alain était retrouvé.
Souvent lorsque l’on espérait faire quelques revenus supplémentaires il y avait un pépin exemple deux truies qui devaient avoir de petits cochons et bien elles les ont toutes perdus; une autre année, la perte d’un cheval il a fallu en acheter un autre. Le bois de pulpe se payait bien alors mon mari entreprend d’en faire. Il avait une terre à bois et comme la pulpe écorcée était plus chère alors il a engagé un jeune garçon pour l’écorçage déjà en partant ça baissait le prix de revient. Il fallait payer le jeune à chaque semaine et le nourrir. Ils bûchaient et bûchaient et enfin quand le bon bois fut rendu empilé au chemin le prix de la pulpe avait chuté de moitié. Vous parlez d’une déception. Une autre année toujours après le chantier il bûche du bois de chauffage on s’était laissé dire que c’était en demande il a travaillé comme un forcené. Savez-vous ce que représente d’ouvrage du bois de chauffage et bien le couper en longueur sur le terrain boisé le charroyer en «sleigh» tout cela se fait en hiver, après les tempêtes, refaire le chemin sur la terre ferme où il est empilé pour être coupé en bûches de vingt-deux pouces environ. Après être fendu en quartier de quatre à six pouces le corder pour qu’il sèche. Les clients étaient exigeants sur la grosseur, il fallait du bois sec et ensuite le charger sur les camions pour aller le vendre en ville. Prendre une demi-journée avec le voyage de bois de maison en maison et personne ne voulait acheter du bois. C’était fendu trop gros, l’autre il n’était pas assez sec, et un autre qui a même monté sur le voyage et déplaçait le bois et il a trouvé un morceau de pruche pour engueuler mon mari et lui dire que ce n’était pas seulement de l’érable bien sûr il n’a pas acheté le bois pour enfin le vendre pas cher il fallait bien le vendre parce qu’il n’avait pas l’argent pour payer le camionneur encore, on demeurait à vingt milles de la ville. Aussi le camionneur était malade et ne pouvait aider au chargement sur le camion. J’ai même aidé ce n’était pas une sinécure.
Une autre année ce fut le décès de son père. Didace était allé à Québec pour se faire traiter il avait un cancer. C’est nous qui avons défrayé les coûts parce que quand il a acquis la ferme qui était à son père, son père était endetté il a fallu qu’il demande un prêt agricole. Pour obtenir ce prêt il fallait qu’un fils s’engage envers le gouvernement à payer en plus du prêt ses autres dettes et l’enterrement et ses funérailles, etc. etc.. Après le décès de son père son frère cadet a exigé son héritage que son père avait ajouté au contrat de vente de sa ferme. Conrad était ignorant de cette clause encore une tuile qui nous tombait sur la tête. L’année de mon sixième enfant Renée nous avons été obligés de vendre quatre vaches pour payer cet héritage. Imaginez-vous que les revenus du lait l’année suivante n’ont pas été forts. Combien de déceptions nous sont arrivées et j’en passe. Avec les revenus du lait, fallait acheter tout ce que l’on ne produisait pas, les graines de semences et la nourriture, etc., etc.
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