Le courrier était amené au village par un postillon. L’hiver à son arrivée, vers six heures il faisait toujours noir et bien entendu il n’y avait pas de lumières de rue, on n’avait même pas l’électricité. J’allais donc chercher les lettres au bureau de poste. Le bureau de poste était chez Baptiste Mc Carthy, première maison à l’ouest de l’église, dans ce temps-là il faut dire que les bureaux de poste changeaient d’endroit lorsque le gouvernement changeait. Il me fallait passer en avant du cimetière et plusieurs enfants et même des grandes personnes me trouvaient fantasque parce que je n’avais pas peur et ça c’est poursuivi toute ma vie. Ainsi donc c’est moi qui faisais les commissions de maman, soit au grenier, soit à la cave, soit à l’étable, il n’y avait pas de lumière. Ma sœur Gisèle qui était assez grande pour le faire, aurait pu y aller, elle disait qu’elle avait peur mais elle ne voulait pas se déranger surtout quand elle était à la table. Je n’avais pas peur non plus du tonnerre même le soir quand ma mère s’absentait.
Une année que j’allais à l’école, j’étais dans la même école que Norbert et aussi dans la même classe, nous avions une institutrice qui passait son temps à punir les enfants en les battant avec soit une « strap », une verge ou un instrument de bois que les enfants avaient bricolé. Il y avait des indisciplinés bien entendu mais quand elle frappait Norbert qui s’était endurci, il ne pleurait pas mais moi je pleurais et beaucoup. La journée de l’enseignement ménager les filles apprenaient à broder, à tricoter tandis que les garçons apprenaient à bricoler le bois. L’institutrice se servait d’une petite pelle qu’un des garçons avait bricolée. Cette année-là ne fut pas fructueuse pour les élèves. À la fin de l’année, mademoiselle Bossé, qu’elle s’appelait, fut remerciée de ses services pour prendre une année à se reposer. Ce qui fut fait et elle est revenue une autre année et c’était une très bonne institutrice. Elle venait de St-Pascal- de-Kamouraska, plusieurs des institutrices qui venaient à St-Gabriel venaient de St-Pascal. Le dicton était « C’est là qu’ils fabriquent les maîtresses d’école ». Parmi celles qui m’ont enseigné il y avait des Dionne, deux Paradis et une Pelletier. Dans le temps elles n’étaient pas payées bien cher pour une année d’enseignement, peu se mariait avec des garçons de chez nous, d’ailleurs, quand elles s’éloignaient de chez eux elles avaient pris de l’âge (quand elles étaient assez âgées pour enseigner à l’extérieur, elles étaient déjà considérées comme des vieilles filles).
Un dimanche, nous avions été invités aux « Eaux Mortes », au chalet du Dr Leblanc. Les Eaux-Mortes c’est un lac formé par une écluse qui servait à contrôler le débit d’eau lors de la drave. Je me souviens qu’il y avait Onésime Leblanc, Sylviau dit « Viau » Lévesque. Ce devait être un pique-nique des amis de papa. Je me souviens que rendus aux Eaux Mortes, nous avons pris le portage à pieds. Comme le chalet était du côté opposé du lac, les chaloupes devaient venir nous chercher. Il y avait deux chaloupes, une à moteur, qui tirait l’autre, les deux chaloupes étaient remplies de passagers. Ils ont commencé à nous promener sur le lac mais ça n’a pas été long que le moteur a rendu l’âme, ce devait être que c’était trop fort pour ces petits moteurs de tirer beaucoup de monde, ça fait que le pique-nique s’est terminé là. Mon père avait loué une automobile pour la circonstance. Il me semble que c’était celle de monsieur Dupéré. C’était une grosse décapotable s’il-vous-plaît; quand nous sommes revenus maman avait laissé les bébés chez Baptiste Paquette qui était bedeau et demeurait dans le logement annexé à la salle paroissiale en face de l’église. Monsieur Paquette nous annonce le décès du grand-père de mon père et était très nerveux. Il avait quatre-vingt-huit ans, il demeurait à Ste-Angèle, il est mort de peur. Cette peur venait du dirigeable R-100 qu’il avait vu. Les avions étaient rares dans le temps, quand il a vu ce phénomène, c’était une boule de feu qui se promenait dans le ciel à la tombée du jour. Il a dit que c’était la fin du monde. Ça été certainement la fin de son monde, il était né en 1842, il est décédé en 1930.
Nous avions une aide à la maison qui s’appelait Eugénie Paquet. Le dimanche quand elle se toilettait, elle se mettait du rouge aux joues (on disait farder). Je trouvais cela très beau. Un matin avant de partir pour l’école je me suis fardée. Maman m’a interpellée me disant que j’allais être en retard. Là je suis partie en vitesse pour pas que ma mère et la servante s’aperçoivent que je m’étais servi dans son fard à joues mais il n’a pas fallu un gros coup d’œil pour qu’on s’aperçoive de mon accoutrement. Ma mère se mit à rire et m’a demandé où j’allais comme cela. Et de répondre que je ne comprenais pas ce qu’elle voulait dire, que je n’avais rien. On m’a lavée et on m’a dit que j’étais trop jeune pour me servir de fard. J’en ai été quitte pour avoir honte.
La vie n’a pas été toujours rose :
quand Huguette s’est séparée de son mari
en plus elle était malade…
Depuis ma naissance je suis demeurée avec mes parents et mes frères et sœurs dans une petite maison dite la « maison rose ». La maison porte maintenant le numéro 336 de la rue Principale. Après les années de la fameuse crise, papa a cru bon, pour donner de l’ouvrage à ses garçons qui étaient au nombre de quatre, d’acheter une terre en plein milieu du village maintenant le numéro 293 de la rue Principale. Maman avec tante Marie-Louise avaient fait le ménage, lavé les murs et les planchers. C’était pitoyable avant leur arrivée parce que la maison avait été abandonnée quelques années. Il ne restait plus de vitres dans les châssis. Un soir de printemps, je m’y suis rendue après l’école, mes parents avaient déménagé pendant la journée, j’avais onze ans, c’était en 1934.
Quand nous avons déménagés à la maison Langlois nous, les enfants, étions heureux. La maison état plus grande, il y avait quatre chambres dans le haut avec un grand corridor en zigzag et l’escalier se montait bien. En bas il y avait une chambre, le bureau, un petit salon et la salle à dîner. Maman a fait abattre un mur entre la salle à dîner et la cuisine, c’était très confortable quand nous étions à table! Mais c’était très primitif, il y avait ni eau, ni évier dans la maison. Dans un coin il y avait une petite table avec bassin et la chaudière d’eau avec un clou pour la tasse, on prenait l’eau qu’on allait chercher à l’étable. Cette eau était très bonne, une autre chaudière au sol pour recueillir l’eau sale. Les planchers étaient en bois mou et usés.
Il y avait une petite cuisine attenante à la maison. Quand venait l’été nous nous en servions comme cuisine d’été et l’hiver elle servait pour corder le bois de chauffage. Dans la petite cuisine il y avait un comptoir avec un vieil évier de fer noir et un bout de tuyau qui semblait avoir déjà eu une pompe. Papa avait bouché l’évier avec des planches pour éviter de s’en servir parce qu’il était inutilisable. Pendant l’été, comme j’étais pas mal fouineuse, je suis allée voir à la cave pour savoir comment ça fonctionnait. J’ai vu le tuyau de l’évier qui entrait dans la terre mais il était sectionné près du plancher. J’ai alors pris du tapis de table que j’ai « rabouté » à l’évier avec de la corde bien serrée, ensuite j’ai enlevé les planches sur l’évier et j’ai mis de l’eau. Je suis retournée à la cave et ça fonctionnait, rien n’était répandu au sol. Je suis allée voir dehors pour voir où le tuyau se vidait. Alors j’ai dit à papa qu’il devait y avoir une pompe. En effet, il y avait une vieille pompe au hangar, il l’a installée après l’avoir réparée avec un manche de godendart, ça fonctionnait. Mais comme l’hiver la pompe et l’évier allaient geler dans la cuisine d’été, à l’automne papa a transféré la pompe dans la maison près de l’escalier. En même temps il a installé un évier neuf, petit mais beau. De ce fait, on s’est débarrassé de la table avec le bassin de la grande cuisine.
Quelques années plus tard mon père a eu l’ingénieuse idée, étant donné que nous avions de l’eau en quantité, de changer le tuyau sous terre pour un plus gros et de plus il a installé une toilette, il a fallu faire monter un plombier de Mont-Joli pour faire le travail. Ça prenait aussi un réservoir, j’ai trouvé un tonneau. Alors il l’a installé sur une tablette plus haut que la toilette ainsi qu’une pompe pour remplir le tonneau. Papa montait tous les soirs faire le plein. À cause du nombre de personnes à la maison, la toilette était utilisée souvent. Quelle amélioration! Imaginez c’était vraiment une commodité moderne. Nous n’avions plus besoin de nous servir de la fameuse chaudière « la tine ». Il n’y en avait pas beaucoup dans la paroisse qui était bien installé comme nous. Plus tard maman a fait poser un plancher de bois franc, le vernis n’était pas comme à présent. Avec la grosse famille que l’on était il fallait le vernir tous les ans. Revenons à la cuisine d’été, le comptoir fut enlevé, ça a agrandi la pièce, on avait placé la table à cet endroit. Au bout de la table il y avait un châssis qui n’avait plus de carreau de verre. Je me suis mise dans la tête de travailler ce châssis, aller chercher des vitres 12 X 14 au magasin, les installer, les mastiquer pour ensuite peinturer le cadre. C’était plus clair dans la cuisine. J’aimais faire des choses qui sortaient de l’ordinaire pour une fille peu douée mais beaucoup d’imagination.
Nous avons aménagés à la maison Langlois au printemps. L’automne suivant il a neigé de très bonne heure et l’hiver s’est installé. Les cultivateurs n’avaient pas moissonné leurs grains, ils ont dû rentrer leurs récoltes de grains dans la neige. Papa avait planté des patates que l’on a récoltées dans la vase. On ramassait les patates avec des mitaines ce n’était pas long que les mitaines étaient trempées. On a eu très froid, ça faisait beaucoup de dégâts.
Papa tuait un porc à la veille des Fêtes, fallait attendre qu’il fasse froid pour pouvoir geler la viande. Le premier hiver papa s’était estropié une main et avec l’eau bouillante pour gratter le porc et le froid ça agravé sa blessure et ça duré plusieurs mois. Alors l’hiver suivant il a décidé de rentrer le porc dans la maison près du poêle pour l’eau bouillante, une sorte d’auge fabriquée de planches dont un bout était un tonneau pour récupérer l’eau et les saletés. L’autre bout était retenu par un tréteau plus haut. Pensez-y un peu ça n’était pas bien propre et en plus la vapeur. Pauvre maman qu’elle a dû se coucher tard ce jour-là pour tout nettoyer. Quand on faisait boucherie, c’était tout à faire, le boudin, les cretons pour l’hiver, tailler la viande pour pouvoir la faire geler, la placer dans un baril avec des couches de neige bien tassée pour que la viande ne s’évente pas. Bien sûr il n’y avait ni congélateur, ni réfrigérateur. Maman a travaillé fort, je l’ai vu bien souvent s’endormir sur son rouet, moi, quand la fatigue me prenait j’allais me coucher mais maman besognait bien tard. Quand je pense aux commodités que j’ai présentement, les larmes me viennent aux yeux. Pour revenir à la boucherie, on gardait la panse, le gras de surplus et les tripes pour faire du savon au printemps. C’est moi qui avais la tâche de vider, nettoyer et laver les viscères.
Mon grand-père Pierre-Octave Roussel est tombé de son fenil, il s’était blessé à la tête et est mort des suites de ses blessures. Mon père était bien triste je devais aller voir mon grand-père car je l’aimais. Comme la gardienne que l’on avait pour garder les bébés avait peur seule le soir il a fallu que je reste avec elle, mon père m’avait promis que quand il mourrait j’irais à ses funérailles. Mais à son service il y avait la cousine Jeanne Roussel qui enseignait au rang du Nord. J’ai dû sacrifier ce voyage parce qu’elle était la filleule de grand-père encore une fois je devais être la plus raisonnable. Mon grand-père était né en 1867 et est décédé en 1935.
En 1936, j’avais alors 13 ans, papa avait des affaires à Rimouski. Il prenait M. Dastous, le taxi de St-Gabriel, dans ces moments il nous amenait. M. Dastous, grand-père de Sylvain Croft mon gendre, n’aimait pas cela beaucoup parce qu’il n’aimait pas les enfants. Mais papa lui a dit, c’est moi qui paye et j’en fais profiter les enfants. Rendus à Rimouski avant de se rendre à ses affaires, il nous laissait sur le terrain de l’exposition agricole. C’était l’ouverture il n’y avait pas grand-chose, les kiosques n’étaient pas ouverts, on voyait arriver les animaux. Mais il y avait le caroussel de petits chevaux de bois, ça été bien pour nous Norbert, Marc, Irené et moi. Plus tard, j’ai appris que papa allait à Rimouski pour finaliser son accord pour la gérance de la Banque Canadienne Nationale.
Un jour, papa a obtenu la gérance de la Banque Canadienne Nationale et cela en 1936. C’était une petite banque, à ce moment là il n’y avait pas encore de caisse populaire. La banque a été installée dans une annexe construite à côté de la maison rose. On était rendu à la maison des Langlois et mon père était encore propriétaire de la maison rose qui était toujours vide. Pendant la crise les maisons ne se vendaient pas. C’est ma mère qui était caissière, c’est pourquoi il a fallu qu’elle prenne une aide pour la maison. J’allais à l’école, ce fut donc Laurette Lepage, ma cousine, qui est venue travailler chez nous. Papa avait multiples occupations. En plus des travaux de la ferme il avait la tâche de secrétaire de la commission scolaire, du conseil municipal, maître chantre tous les matins à la messe ainsi qu’huissier. C’était après la crise et un huissier était souvent requis par les avocats. Ça coûtait moins cher de prendre un huissier sur place que d’en faire venir un de Rimouski. Mon père couvrait le territoire de Saint-Marcelin, Saint-Gabriel et Les Hauteurs.
Après que j’ai quitté l’école je ne m’entendais pas beaucoup avec Laurette Lepage notre aide. On avait aussi une voisine dénommée Élise Cloutier qui venait souvent à la maison. Les deux filles jouaient, s’amusaient, se chatouillaient pendant des demie-journées et l’ouvrage ne se faisait pas. Il faut dire que les Lepage étaient tous des « gingueux » comme l’on disait. Maman me demandait à la fin de la journée ce que Laurette avait fait et je lui racontais. Et Laurette me détestait à cause de cela. Alors maman était obligée de travailler tard dans la nuit pour finir l’ouvrage. Le lendemain c’était encore la même chose. Élise était un peu couturière, alors Laurette en profitait pour se faire confectionner des robes de coton qu’ensuite elle empesait. Penser à tout le temps qu’elle prenait pour repasser ses robes, le reste du linge de toute la maisonnée restait de côté et s’accumulait. Maman se mettait à tout faire, des fois jusqu’à minuit passé. Je lui disais que nous serions bien mieux si nous n’avions pas Laurette. Mais maman disait que c’était la fille de sa sœur Marie-Louise et qu’elle n’était pas pour la congédier. Elle avait une santé fragile disait maman qui la gardait par charité. Quel supplice elle a dû endurer. Elle, comme les autres Lepage, quand on avait quelque chose de bon à manger, Laurette avait la meilleure part et j’avais une petite jalousie envers elle comme certaines choses qu’elle n’aimait pas manger elle avait le droit de se servir autre chose.
Plus ça allait, plus ça allait mal, nous nous en prenions même aux cheveux, elle se fâchait et moi je lui riais au nez. Ma tante Marie-Louise arrive sur ces entrefaits et Laurette braille devant sa mère. Ma tante lui dit : «Endure-la, ton calvaire achève, mets ça au pied de la croix ». Après quand je voulais me venger, je lui disais les paroles de sa mère : « Mets ça au pied de la croix ». Ça la choquait de plus en plus. Un jour une tante de Québec vient se promener et offre à Laurette d’aller à Québec. Plusieurs jours plus tard, comme nous n’avions pas de nouvelles, je jubilais de ne plus la voir chez nous. Et ce qui devait arriver arriva. Elle s’est trouvé un emploi de bonne à Québec. Elle écrit à maman pour lui dire qu’elle ne reviendrait plus. Après avoir lu sa lettre maman me dit : « Je suis contente qu’elle soit partie de son plein gré ». C’était la première fois que maman osait m’en parler. C’était le ciel sur la terre, avait écrit Laurette. Mais son ciel n’a pas été long. Elle s’est mariée avec un bon à rien à la moto pour venir finir ses jours au sanatorium de Mont-Joli car elle était tuberculeuse, mais auparavant elle avait eu une petite fille.
Mon sentiment pour les Lepage ne s’atténuait pas. Une fois on était à s’installer à table et comme Gérard Lepage allait s’asseoir, je lui ai retiré sa chaise, il a donc failli tomber par terre. Papa s’est fâché, il est parti vers l’étable et il est revenu avec un bout de cordeau de cuir pour me donner la volée. Maman s’est interposée et lui dit : « Si tu la frappes, je m’en vais chez ma mère ». Vous vous imaginez bien que le repas s’est passé en silence. La leçon a été profitable à tous les enfants, je crois.
Les bureaux de la Commission scolaire et du Conseil municipal étaient à la maison, mon père était secrétaire. Même à la maison rose ce bureau était dans notre maison. Ce que je n’aimais pas c’était que les gens qui avaient affaire au bureau passaient plus souvent par la cuisine et ils n’y avaient pas d’heure fixe pour le bureau. C’était à toutes heures du jour et de la veillée même le dimanche les institutrices venaient chercher leur paye au bureau, on aurait dit que les gens faisaient exprès pour payer leurs taxes par petites tranches pour pouvoir nous déranger, c’était ce que je pensais, mais il faut dire qu’ils ne pouvaient pas faire autrement. Combien de gens dérangeaient papa pour une assermentation (il était juge de paix) ou compléter une formule pour après partir et dire à papa que c’était facile, qu’ils ne lui offraient rien, aucun paiement pour le récompenser. Après j’étais peinée de voir que certaines personnes étaient sans cœur.
Pour soutenir les associations d’une paroisse il y avait toujours quelqu’un qui organisait des séances théâtrales. J’ai toujours entendu mon père en parler depuis qu’il était marié. Maman était aussi actrice à ces séances bien sûr qu’il fallait exercer des semaines avant le grand jour. Quand je fus assez grande j’avais aussi des rôles. La première fois à l’école je faisais parti d’un groupe habillé en chinoise qui dansait, la deuxième fois j’interprétais une bohémienne qui disait la bonne aventure. Je devais avoir dix-sept ans et la troisième fois j’étais chez une esthéticienne et je me faisais maquiller, ça fini que quand elle a eu fait un côté du visage je disais : « Si je ne pogne pas avec ce côté-là même si je me faisais maquiller tout le visage ce ne serait pas mieux, c’était que je devais avoir quarante ans à l’époque. Ce fut tout pour le métier d’actrice. Nous passions des heures et des heures à s’exercer ce qui m’a permis de côtoyer des jeunes gens. Ces séances étaient toujours un succès car il n’avait pas de télévision ni de salle de cinéma à St-Gabriel. C’est plus tard qu’il s’est érigé un cinéma.
Ma famille Roussel était de bons chanteurs. Papa a été chanteur à l’église. À la fin de ses jours, il était devenu sourd, il aimait chanter mais comme il ne s’entendait pas, il chantait faux. Maman avait une belle voix. Norbert, s’il ne s’était pas destiné à la prêtrise, il aurait pu faire une belle carrière au dire des recherchistes venues de Montréal. Il avait une voix de ténor. Marc et Irénée ont toujours fait partie de la chorale. Maintenant qu’ils sont à leur retraite, ils s’en donnent à cœur joie. Édèse, une voix extraordinaire, c’est pour ça qu’elle fut envoyée étudier en Suisse. Lisette et Gildas aussi chantent bien et moi j’ai toujours fait partie d’une chorale sauf au temps où on demeurait au Saroi.
Les enfants des autres familles se réunissaient presque tous les soirs pour chanter pendant les vacances des Fêtes chez les parents des uns ou des autres. Il n’était pas question de jouer au cartes ou de Bingo ou de danser, mais de chanter. C’était bien agréable, Marcelle aussi chante bien, à sa retraite elle continue d’enseigner le chant. Elle est bien dévouée, à chaque funérailles, elle est là qui organise et dirige le groupe.
A la naissance de ma sœur Édith j’avais alors quatorze ans, je fus la marraine de cette petite fille avec mon frère Norbert. Dans le temps dans les familles nombreuses les aînés devenaient parrains et marraines des cadets. On ne pouvait attendre que les oncles et tantes viennent nous rendre visite, il fallait faire baptiser le plus tôt possible dans la journée même de la naissance du bébé. Comme les familles étaient nombreuses il fallait trouver à l’intérieur des familles des parrains et marraines.
Lors du déménagement du cimetière, j’avais alors dix huit ans. C’était en 1941 il fallait que papa déterre la tombe de mon petit frère Viateur. Quand il a soulevé le couvercle de la tombe, j’ai vu son squelette et ça m’a fait très mal, j’ai tellement pleuré. C’était tard en automne, il faisait froid et avec l’humidité qu’il y avait dans la terre son habit a gelé. Ses cheveux étaient en place sur son crâne. Une boucle de ruban était à son cou à la place d’une cravate. Quand mon père l’a touchée, elle s’est désagrégée, est devenue poussière. Et tout ce que nous avons vu après c’est un petit crâne.
Il était de tradition que pour faire sa profession de foi appelée communion solennelle il fallait aller dans une classe spéciale. Cela se passait à la sacristie et c’était le vicaire qui enseignait le catéchisme pendant une durée de cinq semaines. Là comme ailleurs il y avait des passe-droits. C’était les enfants des rangs qui écopaient des punitions ce qui signifiait de recommencer l’année suivante. Le curé et le vicaire ne savaient pas toutes les difficultés que cela occasionnait pour les mères du village. Parce que chez-nous comme ailleurs, les enfants des rangs demeuraient chez les villageois. Maman hébergeait des fois jusqu’à trois enfants. Pour maman c’était surtout nos cousins, les Lepage, qui venaient rester chez nous, il y en avait toujours un qui devait répéter son catéchisme une autre année et comme c’était une famille de vingt et un enfants, il y en avait à tous les ans. J’ai trouvé le vicaire injuste lors d’un interrogatoire (examen oral) où nous avons été au moins une bonne douzaine qui n’ont pu répondre aux questions. J’étais du nombre ainsi qu’une autre du village. Il fallait rester debout à cause de notre ignorance. Un moment plus tard, il me dit de m’asseoir ainsi que ma compagne et annonce que tous ceux qui étaient debout devront rester chez eux la semaine suivante (retourner chez-soi était un échec et on devait recommencer l’année suivante). C’était tous des enfants des rangs.
Quand nous avons été rester chez Langlois papa n’était pas tellement riche, fallait pour la famille faire bien des économies. Ma mère était ingénieuse surtout lorsque nous étions plusieurs à la table elle réussissait à nous faire manger à notre faim et c’était bon. Je me souviens que le soir c’était du gruau, comme nous avions du lait (l’hiver beaucoup de gens laissaient tarir leurs vaches et ils n’avaient pas de lait pendant cette période) elle nous faisait du pouding au riz ou de la bouillie que l’on mangeait froide. Elle nous en faisait de grosses chaudronnées, elle emplissait toutes les assiettes disponibles que l’on portait ensuite sur la neige à l’extérieur. Quand c’était refroidi, nous la mangions avec de la cassonade, du sucre ou de la mélasse. Un jour que les enfants avaient porté leurs assiettes sur la neige pour qu’elles refroidissent plus vite, un chien est passé par là et a mangé toute la bouillie.
Durant tout le temps qu’a duré mes classes, une journée par semaine je devais rester couchée, un mal de tête terrible, des vomissements. Un médecin consulté disait que j’avais un foie lent. De par le fait même je n’aimais pas l’école car lorsque je revenais en classe après mes absences j’étais déroutée, les élèves avaient appris des choses que je ne pouvais reprendre, comme maman avait besoin d’aide à la maison et que je pouvais difficilement suivre en classe j’ai abandonné l’école à l’âge de douze ans. Après avoir fait ma profession de foi ou comme on disait fait ma communion solennelle.
Quand j’étais jeune, mes frères Norbert, Marc et Irénée, se plaçaient au chœur de l’église, c’est comme ça que l’on appelait le devant dans l’église près de l’autel. Mes frères ont longtemps servi la messe qui était en latin. Ils étaient habillés d’une soutane noire avec boutons bordés d’une dentelle. Ce surplis demandait beaucoup d’entretien surtout la veille des Fêtes, comme Noël, Pâques, l’Ascension et autres fêtes liturgiques. C’est alors que maman lavait ces fameux surplis, les empesait, les repassait. Elle les glaçait, c’était un ouvrage très difficile, surtout de les plisser à la main et ensuite les attacher avec cordes pour qu’ils prennent forme. C’était très beau, il y avait aussi aux Fêtes ceux qui servaient; ils avaient une soutane rouge, ça avait beaucoup plus l’air fête. Aux Fêtes de la Ste-Vierge, ils en avaient une bleue, mes frères ont longtemps servi la messe le matin à six heures. Il ne fallait pas qu’ils traînent au lit tout l’avant-midi.
Jeanne d’Arc Dufour m’amenait chez elle, elle avait été élevée par sa grand-mère. On jouait aux pichenottes. Je n’étais pas habile je n’ai eu que mal aux ongles. Vers huit heures et demie elle disait à sa grand-mère qu’elle venait me reconduire chez moi. Mais son plan avait été bien établi. Rendues à moitié chemin de chez moi, elle entrait chez une madame que je ne connaissais pas, elle était seule, son mari dans les chantiers, elle veillait près d’un berceau éclairé d’une petite lampe à l’huile. Après quelques instants elle me laissait là pour aller rejoindre un garçon. C’était bien défendu pour moi de le dire même à sa tante Cécile qui habitait avec eux. Elle allait rejoindre un garçon nommé Philippe Tremblay dit Cazeau. Plus tard elle l’a épousé. Maintenant décédés tous les deux. Dans ce temps-là pas beaucoup de monde avait le téléphone pour surveiller les enfants à distance.
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